mercredi 15 juin 2016

Jérôme Bosch Un ticket pour l’Enfer

Jérôme Bosch. Le Jardin des délices, 1500-1505.
Triptyque, huile sur panneau, 220 × 389 cm. Museo Nacional del Prado, Madrid
Détail du panneau droit du Jardin des Délices

Jérôme Bosch

Un ticket pour l’Enfer

Par Leïla Vasseur-Lamine
3 JUIN 2016

À l’occasion de l’anniversaire des 500 ans de la mort de Jérôme van Aken dit Bosch ou El Bosco, le musée national du Prado de Madrid organise la plus grande rétrospective consacrée à son œuvre.
Bien que certaines créations de l’artiste restent hermétiques du point de vue du sens, les ouvrages conservés sont encore très populaires aujourd’hui. Voici donc un bon prétexte pour revenir brièvement sur sa vie, et plus longuement sur les particularités de son travail ; en vous donnant quelques clefs utiles à la compréhension générale du traitement des thèmes abordés tout au long de ses travaux.

Une vie prospère et dévote

Né à Hertogenbosh ou Bois-le-Duc, dans les Pays-Bas bourguignons vers 1450-1455, il est le juste héritier du talent de son père, l’artiste peintre Anthonius van Aken (1420-1478). Il reçoit d’ailleurs sa formation au sein de l’atelier paternel aux côtés de son frère aîné. En 1478, il épouse Aleyt Goyarts Van den Meervenne, une riche aristocrate qui l’introduit dans sa sphère et lui permet de vivre pour son art sans autres préoccupations d’ordre pécuniaire. Ensemble ils entrent dans la confrérie Notre-Dame de Bois-le-Duc, dédiée au culte de la Vierge Marie, et Bosch en devient dès lors le peintre attitré.
Les peintures de Bosch furent fort appréciées de son temps ; en effet, l’année 1504, Philippe Ier le Beau lui commande un grand Jugement Dernier et Marguerite d’Autriche lui achète une Tentation de saint Antoine. Par la suite Philippe II d’Espagne, très friand de ses « diableries », achète plusieurs de ses grands tableaux.

De la déchéance de l’Humanité

Au XVe siècle, dans le Nord de l’Europe, le sentiment général est à la peur et à la volonté de rédemption en vue de la croyance commune de l’arrivée imminente de la fin du monde. Le pape Innocent VIII (1484) écrit une bulle pontificale Summis desiderantes affectibus qui prêche la lutte contre les pratiques païennes ; magie ou sorcellerie. Dans la même optique, l’Inquisition s’attaque aux sorcières et aux alchimistes. Enfin, le traité en vogue à l’époque s’intitule Malleus Maleficarum (Le Marteau des sorcières) d’Henricis Institoris et Jacobi Sprengeri, et décrit les pratiques de sorcelleries et les moyens de reconnaitre les sorcières et de les torturer. Le climat est donc propice à toutes les superstitions, extrapolations et autres visions apocalyptiques.
C’est dans cette veine que s’illustre le talent de Bosch. Ses tableaux, impressionnants de maîtrise ; que ce soit les couleurs, la composition ou la minutie, mêlent héritage médiéval et souffle nouveau qui annonce la Renaissance. Rien n’est traité par hasard. Son imagination débordante sert consciencieusement sa foi chrétienne, et l’intention, tantôt traduite par la satire des mœurs profanes de son temps, tantôt exprimée à travers des thèmes strictement religieux, est essentiellement moraliste. De connivence avec la Bible, Jérôme Bosch utilise les symboliques d’usage à son époque ; chrétienne, populaire et alchimiste, pour faire parler ses toiles et mettre en garde le spectateur contre les dérives comportementales relevant du péché, qui mènent tout droit à l’Enfer. Il compose des triptyques absolument délicieux de bizarreries abominables et de supplices en tous genres, tels que les fameux Jardins des délices, Le Jugement dernier ou encore La Tentation de saint Antoine et Le Chariot de foin, ainsi que des peintures qui se moquent de la bêtise humaine comme Le Concert dans l’œuf ou L’Escamoteur.
Ces symboliques en vigueur dans les différents tableaux, nous ouvrent la voie sur des fantasmagories de l’inconscient, comme si les cauchemars du peintre nous étaient représentés.
Afin de pouvoir décrypter davantage les toiles du maître, il est important d’avoir en tête quelques codes picturaux. Commençons avec le bestiaire évoqué par Bosch : dans la symbolique religieuse, le rat représente la fausseté ; le hibou, déchu de son ancienne incarnation de la sagesse, est associé à Satan et signifie aussi l’hérésie : l’un d’eux figure dans le tableau Le Concert dans l’œuf, et se tient sur le sommet du crâne du personnage qui fait office de chef d’orchestre. La grenouille, comme celle qui sort de la bouche de l’homme médusé par le tour de magie, dans le tableau L’Escamoteur, est un symbole de crédulité. Le crapaud quant à lui est un suppôt du diable ; le singe représente le mensonge ; le porc (et parfois seulement le pied de porc) est associé au Malin ; le serpent est l’incarnation du diable ; le poisson mort sans écailles comme celui représenté dans le tableau La Nef des fous est synonyme de péché ; l’ours incarne la luxure. En revanche le poisson avec écailles représente Jésus Christ.
Dans le folklore populaire, le cygne est symbole d’hypocrisie ou signifie l’oubli de la parole divine, la cigogne peut aussi avoir un aspect négatif et induire l’idée de naissance malheureuse, d’handicap ; elle trône par exemple sur la tête du flûtiste dans Le Concert dans l’œuf comme pour indiquer la « nature » des personnages.
L’œuvre de Bosch regorge aussi de créatures hybrides et monstrueuses comme les grylles : figures grotesques ou terrifiantes souvent représentées sous l’apparence d’une tête avec des pieds ou mi-humaine mi-animale, ainsi que des sirènes associées au péché et des sortes de centaures.
Quant aux symboles-objets ils sont nombreux. Certains ont un caractère sexuel comme le couteau et la flèche qui sont des symboles phalliques ; la corne qui est le pendant du sexe masculin ou du sexe féminin si renversée ; l’échelle qui suggère la copulation ; les cerises, symboles de volupté ou de sensualité et présentent notamment dans la Nef des fous, et qui peuvent exprimer le désir répréhensible. D’autres objets sont associés à la folie ou la bêtise ; l’œuf percé est symbole de naissance monstrueuse ou malheureuse, à l’image de celui dans lequel est installée la compagnie musicale de fiers imbéciles qui entonne un chant grivois, dirigée par un moine qui se fait subtiliser sa bourse, de même, l’entonnoir renversé symbolise la folie et figure dans plusieurs toiles de l’artiste.
Enfin dans le tableau Le Chariot de foin, le chariot, figure centrale de l’œuvre induit plusieurs sens. Au départ le chariot est une métaphore populaire du chemin parcouru par l’homme durant sa vie, mais, en le représentant rempli de foin il prend un autre sens ; le foin est associé aux bien terrestres : il y en a en abondance mais le fait que ce soit du foin rend ces biens sans valeur. Ainsi le chariot de foin représente la tentation, l’avarice, l’outrance, les biens matériaux superflus que les hommes amassent à l’encontre de la dépossession et de la retenue prônées par la figure du Christ.
« El Bosco, L’exposition du Ve centenaire », du 31 mai 2016 au 11 septembre 2016, au Musée du Prado de Madrid.
Texte par Leïla Vasseur-Lamine




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