samedi 23 juillet 2016

Boris-Hubert Loyer / Aux raisons funèbres

En argot journalistique, Frigo = Rubrique nécro




Aux raisons funèbres

Boris-Hubert Loyer
27 janvier 2016 





I
l y a neuf ans, j’écrivais une chronique funèbre pompeusement intitulée «Nécro spirituelle». Le 15 janvier dernier, alors que René Angélil venait juste de passer de vie à trépas la veille au soir, aucune nouvelle célébrité n’était morte à peine le jour levé. Devant le spectacle des commentaires sur la fatalité morbide de ce début d’année, j’en ai profité pour réécrire ce billet sur la camarde qui semble prendre un malin plaisir à dézinguer les idoles qui n’iront pas plus loin que leur 69èmeanniversaire.

« Midi, personne n’est mort depuis ce matin. Quand je dis personne, je parle bien sûr des morts célèbres ou des personnalités plus ou moins connues qui 
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auront la chance de se voir tirer le portrait en une de Paris Match, L’Obs ou Libéavec un titre accrocheur. Mais qu’est-ce qu’elle fout la grande faucheuse ? Elle aurait décidé de gâcher le travail des chroniqueurs spécialisés dans la brève post-mortem qu’elle ne s’y prendrait pas autrement.

Moi qui me faisais une joie de pouvoir surfer sur le créneau prometteur (et éventuellement lucratif) de l’hommage unanime lié à la récente inflation des activités de la Parque. On ne saurait dire si c’est un des effets de la loi Macron mais elle bosse même le dimanche ! Pas de relâche, aucun répit, aucun temps mort.
16h14. Je me promène sur la toile histoire de voir s’il n’y avait pas matière à panégyrique. Non. Rien. Nada. Nichts. Zéro pointé.
Saleté de mort. Je te déteste. Que n’es-tu allée frapper un prix Nobel, un archevêque, un Président ? Ou mieux, un chanteur, un acteur, un présentateur télé (si possible officiant sur TF1, ça ferait plus d’audience. France Télévision s’étant chargé de faire disparaître Julien Lepers des écrans avant de sacrifier 30 millions d’amis et euthanasier médiatiquement les descendants de Mabrouk et l’anchor man à fiches bristol sur l’autel du jeunisme).
J’ai regardé partout ou presque. Sur les sites d’actualité, sur les réseaux sociaux, je me suis même surpris à allumer ma télévision et à vouloir acheter Aujourd’hui en France etLa Nouvelle République pour voir si un histrion local ou un plumitif régional n’aurait pas dit adieu à la vie en même temps qu’à ses droits d’auteur… Quelle déception, là encore.
18h02. Aucune perte fameuse à l’horizon et à l’heure où j’écris ces lignes. C’est le vide intersidéral. Même pas un petit trépas un tout petit peu polémique à se mettre sous l’édito. L’hiver qui s’installe va-t-il signer la fin des marronniers ?
Pourtant, le début d’année était prometteur. La mort tenait le bon bout. La corde. Le rythme était presque parfait. Michel Delpech, David Bowie, Pierre Boulez, Ettore Scola, René Angélil… Une star tous les jours ou presque. Que se passe-t-il ? La grande manieuse de serpette allégorique va-t-elle me laisser sans voix entre l’épiphanie et le carême (la période idéale pour mourir jeûne). Chienne de mort.

A moins que…
A moins que je ne parle des morts inconnus du jour, et auxquels on n’érigera jamais de stèle et pour lesquels on n’allumera sûrement aucune flamme : les migrants sombrant espoirs et biens en Méditerranée ; les civils syriens ou burkinabés tombés sous les balles ou les bombes des terroristes gavés d’idéologie dévoyée ou des coalitions va-t-en-guerre aux dommages aussi collatéraux qu’aveugles ; les Monsieur et Madame tout-le-monde qui crèvent dans les hôpitaux oubliés de tous ; les SDF réfrigérés ; les skieurs alpins…
A moins que je ne fasse la nécrologie de la mort elle-même, vu que la science n’a de cesse de vouloir la réduire au chômage grâce aux greffes de cœurs artificiels, aux traitements au DHEA, au cryogénisme… Ce serait bien fait pour elle, elle qui m’empêche aujourd’hui de donner de l’avis sur la disparition d’un illustre connu.
J’imagine assez le chapô de cette oraison de la mort :
«La mort n’est plus. Elle ne viendra plus nous chatouiller l’espérance de vie à grands renforts de maladies, d’accidents, de tueries à l’arme lourde en vente libre, de coups du sort et du lapin. Après des siècles de bons et plus ou moins loyaux services, elle a définitivement cessé ses activités morbides et pris une retraite forcée. Bien sûr, avec sa disparition, la profession des chroniqueurs opportunistes et charognards cracheurs de moelle épistolaire est en deuil et pleure son gagne-pain. Car la fin de la mort signe la cessation d’activité d’une corporation tout entière. Le gouvernement a d’ores et déjà fait savoir qu’il planchait sur un projet de loi visant à minimiser les effets déplorables sur l’emploi de ce décès aux conséquences dramatiques. Cet avis tient lieu de faire-part».

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Lire ici

Enfin et surtout, la mort de la mort signerait l’arrêt du site Internet jesuismort.com qui m’avait à l’époque mis dans tous mes états et inspiré ma première chronique. Pour ceux qui ne connaitraient pas, c’est assez indéfinissable. Ce portail souhaite la bienvenue à ses visiteurs en ces termes :
« Entrez et venez vous recueillir sur les tombes des hommes et des femmes les plus célèbres. Savourez l’histoire de chacun en consultant la biographie de chacun à moins que vous ne préfériez leur rendre hommage et faire ainsi évoluer leur score de popularité. Découvrez qui sont les plus célèbres ou souffler les bougies de l’anniversaire de leur mort ou l’anniversaire de leur naissance ! Pour les affamés de culture, découvrez une célébrité au hasard. Silence et bonne promenade ».

Il y a même une rubrique «Top 50», façon classement des morts préférés des Français ! Parce qu’on peut voter. Et améliorer le score des défunts comme on like des publications sur Facebook…
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Au 24 janvier 2016, le classement est le suivant :

  1. Claude François.
  2. Dalida (d’ailleurs en couv de Vanity Fair ce mois-ci)
  3. Jésus de Nazareth.
  4. Jacques Brel.
  5. Louis de Funès.
  6. Odilon Redon
  7. Michel Delpech
  8. Grégory Lemarchal
  9. Marie de Nazareth
  10. Sacha Distel…
Il y a même un « top of the top », sorte de Hall of Fame des meilleurs disparus de tous les temps. Et dans lequel bataillent Luis Mariano, Marilyn Monroe et Joe Dassin… Adolf Hitler arrive en 17ème position, tandis que Jean Moulin pointe à la 36ème place…
21h36. Définitivement, rien que pour ne pas voir ou lire ce genre d’ineptie, la mort de la mort serait une bonne chose. Et puis, René Angélil n’est même pas dans le classement.
Mercredi 27 janvier. Le chanteur de Black est décédé. Les  affaires reprennent.»


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