vendredi 25 novembre 2016

Frédéric Strauss / Son nom est Wasikowska



Son nom est Wasikowska


Frédéric Strauss
Publié le 17/10/2015.

A l'occasion de la sortie de “Crimson Peak”, rencontre avec la jeune actrice australienne Mia Wasikowska, phénomène de curiosité, de timidité. Et d'audace.
« - C'est qui qui joue Madame Bovary ? - C'est Mia Wachi... Wazi... Koche... - Ah oui, j'arrive jamais à dire son nom ». Si cet échange entre deux spectatrices, pendant le dernier festival de Deauville, est resté dans notre oreille, c'est qu'on en est tous passé par là, avec la Wasikowska. Posées sur cette jeune actrice gracile née en Australie il y a vingt-six ans, ces quatre syllabes faisant un bruit d'arme soviétique ont toujours semblé un peu difficiles à mettre dans le bon ordre. Même pour elle, ce ne fut pas si évident. « J'ai grandi en entretenant une relation d'amour-haine avec ce nom. A l'école, les gens bloquaient dessus. C'était gênant et, en même temps, ça faisait de moi une sorte de personnage. Je n'ai jamais pensé que ça pourrait un jour me compliquer la vie si j'essayais de faire carrière dans le cinéma. Et maintenant, je crois qu'on a dépassé ce stade. En tout cas, si on refusait de me confier un rôle à cause de mon nom, ça ne me ferait rien ».

Mais qui envisagerait de se passer de Mia Wasikowska ? En quelques années, elle est devenue l'indispensable partenaire des auteurs qui tournent en langue anglaise, baptisée par Tim Burton (Alice au pays des merveilles, 2010), adoubée par Gus van Sant (Restless, 2011), vampirisée par Jim Jarmusch (Only lovers left alive, 2013) et rêvée comme dans un cauchemar par Cronenberg (Maps to the stars, 2014). Capable d'être romantique (Jane Eyre, sous la direction de Fukunaga en 2011) ou sanguinolente (dans Stoker, 2013, de Park Chan-wook) et maintenant les deux à fois dans Crimson Peak de Guillermo del Toro. Une filmographie qui, comme son patronyme, la distingue radicalement. Pourtant, elle semble surtout ne pas vouloir se faire remarquer, assise bien sagement dans la chambre d'hôtel où on la rencontre, le temps des vingt minutes de promo réglementaires. Grande et menue, elle arrive à se faire toute petite et parle avec une voix d'enfant craintive, soulagée quand elle peut rire un peu.
Mia Wasikowska dans Alice au Pays des Merveilles
De son image, de ce qui la distingue et fait d'elle une actrice différente, elle assure n'avoir aucune idée. Peut-être est-ce simplement le fait de continuer à vivre en Australie, de rester une visiteuse à Hollywood, comme son personnage dans Maps to the stars ? « Je sais quand même que j'ai eu la chance de travailler avec des gens très bien, car avant de faire des films, j'en ai vu énormément. J'étais une grande cinéphile », avance-t-elle en rosissant presque. Sa mère, une photographe polonaise féministe qui lui donna son nom et pas celui de son père, fit son éducation cinématographique. Et elle poursuit donc ses études avec les meilleurs maîtres du septième art, devenue actrice après avoir voulu être danseuse, sans avoir jamais cessé d'être spectatrice.


Goût pour l'imprévisible

Inspirés par son physique atypique, d'une neutralité qu'on peut sans peine mener à la beauté ou malmener vers la laideur, les cinéastes ont su mettre à profit sa fragilité et en faire une force. Elle en a tiré un goût pour les personnages imprévisibles. « J'aime beaucoup Edith, la jeune femme que je joue dans Crimson Peak, car elle est très ambitieuse mais aussi assez naïve. Et j'ai aimé aussi le personnage que m'a confié David Cronenberg, une fille brisée et pourtant très joyeuse ». Cette note tragique et douce, elle en fit sa marque dès son premier rôle aux Etats-Unis : Sophie, la gymnaste suicidaire, patiente du psy Gabriel Byrne dans la série En analyse. « Ça reste une des mes plus grandes expériences d'actrice. J'ai pu jouer ce personnage pendant neuf épisodes de 30 minutes, bien plus que ce qu'un film permet. Je me suis beaucoup attachée à Sophie, elle est devenue un peu comme une amie ».
Dans Madame Bovary
Timide mais pas intimidée, Mia Wasikowska parle de ses rôles sans complication, comme si elle avait l'habitude de basculer dans la fiction, aussi facilement qu'Alice au pays des merveilles (qu'elle vient de retrouver, toujours en compagnie de Johnny Depp mais cette fois sous la direction du réalisateur d'Opération Muppets...). Et quand son personnage s'appelle Emma Bovary, dans le film de la franco-américaine Sophie Barthes, qui était présenté à Deauville et sortira le 4 novembre, elle garde la même spontanéité pour l'évoquer, avec un enthousiasme juvénile. « Emma est une femme formidable qui divise beaucoup les gens : certains l'aiment et se projettent en elle, d'autres la critiquent et la haïssent même. C'est assez drôle. Pour ma part, je l'aime beaucoup. J'aurais pu me retrouver dans sa situation, coincée dans une vie que je n'aurais pas aimée, je me serais sentie prisonnière comme elle, mais je n'aurais sans doute pas réagi de la même façon. En tout cas, j'adore cette histoire et l'équipe de ce film était vraiment parfaite. On nous servait du vin au déjeuner, ce qui n'arrive jamais aux Etats-Unis ! ».
Dans Maps To The Stars
On voudrait entrer dans le mystère de ses compositions, toujours si émouvantes et qui montrent, lui dit-on alors, le talent d'une grande actrice. Elle baisse les yeux en murmurant seulement « Merci ». Et là, on la trouve plus charmante que jamais d'être à ce point effacée, heureuse d'être actrice pour disparaître... L'intérêt qu'elle exprime pour l'apparence des personnages et les costumes éclaire, sans qu'elle le confesse, le même désir : se cacher, trouver la robe qui l'habillera et, tout en l'exposant, la dérobera aux regards. Pour Crimson Peak, où elle joue une jeune femme en tenues victoriennes à qui des fantômes veulent parler, elle a pu s'en donner à cœur joie dans le travestissement gothique. « Guillermo a créé un univers grandiose, il voulait des cheveux longs et des costumes extraordinaires dans lesquels il mettait plein d'idées. Moi, j'étais le papillon de jour et Jessica [Chastain, la rousse teinte en noir] était le papillon de nuit, j'étais le soleil et elle était la lune. C'était très dramatique, presque comme à l'opéra ! ». Ne dirait-on pas, alors, que Mia Wasikowska aime encore jouer à la poupée ? Mais quand on lui demande quelles actrices l'ont inspirée, elle cite sans hésiter un trio de choc : « Gena Rowlands dansUne femme sous influence, Holy Hunter dans La Leçon de Piano et Emily Watson dans Breaking the Waves ». Trois compositions d'une force exceptionnelle, trois personnages de femmes passionnées, au bord de la folie. Voilà de quel bois se chauffe l'Australienne. Une discrète taillée pour l'extrême.





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