vendredi 2 juin 2017

Marina Hands et Fanny Ardant / Rencontre avec deux hypersensibles



Marina Hands et Fanny Ardant

Marina Hands et Fanny Ardant, rencontre avec deux hypersensibles

Par Margaux Destray | Le 20 décembre 2014
Diva de la mode et intraitable gestionnaire dans Chic !, la fashion comédie de Jérôme Cornuau, les deux actrices jouent les désaccords parfaits avec jubilation. Dans la vraie vie, elles partagent la même quête d’absolu et de liberté. Échange complice.

Fanny Ardant, l’irréductible, et Marina Hands, la discrète, ne s’étaient jamais croisées avant Chic ! (1), de Jérôme Cornuau. Dans cette comédie, Fanny Ardant incarne Alicia Ricosi, une créatrice de mode qui, à la suite d’une rupture amoureuse, se trouve en panne d’inspiration sur sa prochaine collection. Hélène Birk (Marina Hands), sous-fifre d’un patron aux ordres de la diva, va devoir trouver une solution. C’est le moment que choisit Alicia pour s’enticher d’un paysagiste breton (Eric Elmosnino) et exiger qu’il devienne sa muse. Le film est une variation sur « le Rat des villes et le Rat des champs », qui repose sur le comique de situation. Les deux actrices semblent y avoir pris goût. Entre deux répétitions au théâtre d’ Ivanov (2), d’Anton Tchekhov, mis en scène par Luc Bondy, Marina Hands retrouve Fanny Ardant dans un atelier intimiste situé au fond d’une jolie cour pavée du XIe arrondissement, à Paris. Elles évoquent ensemble le milieu de la mode, l’éblouissement de l’enfance, la timidité, leur goût des artistes. Conversation intime entre deux hypersensibles.

Madame Figaro. – Une des répliques de Fanny Ardant résume vos deux personnages : « Je parle sentiments, vous parlez comptabilité »…
Fanny Ardant.– Alicia Ricosi a eu un nom dans la couture, elle sert son art et ignore le monde des obligations financières. J’aime profondément l’idée de croire à ce que l’on fait et de le faire avec honnêteté, même si cela doit provoquer des désastres pour ceux qui nourrissent d’autres intérêts.
Marine Hands. – Hélène Birk a un plan de carrière et travaille d’ailleurs dans une entreprise où l’on accumule plans, courbes et bilans. Elle se retrouve victime à la fois de la hiérarchie et de sa soumission, dont elle est extrêmement fière. J’adore jouer des personnages qui glissent sur une peau de banane : il n’y a rien de plus extraordinaire que de montrer quelqu’un en train de se tromper, de construire sa vie sur du faux. J’ai accepté le rôle sans lire le scénario pour jouer avec Fanny. Quand j’ai débuté, je me droguais aux Dames de la côte. Et, comme elle, j’ai tourné mon premier téléfilm, Un pique-nique chez Osiris, avec Nina Companeez.




Marina Hands
"J'ai pris des coups avec ma douceur."
F.A.– Ah, c’est drôle ! Mes filles, lorsqu’elles avaient 15 ans, se passaient le DVD en boucle.
M.H.– À l’époque, il n’y avait pas d’héroïnes assez passionnées à mon goût. Vous, Fanny, vous déplaciez l’archétype de la jeune fille dans un espace puissant. Au-delà de cela, Fanny incarne pour moi l’actrice libre par excellence, donc parfaitement mystérieuse. La rencontrer, c’est approcher quelqu’un qu’on ne peut pas connaître autrement qu’en l’approchant, justement. Elle ressemble à un animal sauvage. J’avais le sentiment qu’on me disait : « Tu vas faire un safari et croiser une panthère extrêmement rare. »
F.A.– La jungle, rien n’y est écrit d’avance… Travailler avec des acteurs m’intéresse à cause de leur regard. Au mot « moteur ! », il ne reste que le regard de votre partenaire, et lui seul. C’est parce que ce rapport se noue qu’il se joue quelque chose qui ne se rejouera plus jamais.

Vous vous vouvoyez… Fanny inspire donc le vouvoiement ?
M.H. – Oh oui !
F.A.– Je vouvoie les autres, à l’exception de ceux qui prennent le pouvoir. Claude Berri, à notre premier déjeuner, m’avait proposé : « Écoute, Fanny, on va se tutoyer tout de suite, sinon on n’y arrivera jamais. » Avec lui, je tournais mes phrases de façon à n’avoir à utiliser ni le « tu » ni le « vous ». Une complication sans nom ! (Elle éclate de rire.)

Fanny vous semble donc intimidante, Marina, vous à qui la timidité a souvent joué des tours…
M.H.– Oui, il a fallu faire craquer tout ça, mais ce métier m’y a aidée.
F.A.– Moi aussi, je suis timide. Timide mais teigneuse. Un jour, j’ai entendu cette phrase : « La timidité n’est pas une excuse. » Je croyais qu’il fallait se donner du mal pour aller vers l’autre. Quand on m’explique parfois que j’inspire la peur, je demande : « Mais de quoi avez-vous peur ? Que je vous donne une claque ? » Aujourd’hui, seuls les grands artistes m’impressionnent, à cause de l’émotion qu’ils me donnent. Mon pauvre « bravo » me paraît alors dérisoire. La timidité, c’est ne pas parvenir à exprimer la tempête qui se déchaîne à l’intérieur de soi. Le pouvoir et l’argent ne m’en imposent pas, mais la grande intelligence, c’est-à-dire les gens qui vous rendent intelligents, ça oui.

Est-ce qu’une certaine douceur vous rassemble ?
F.A. –Mon père me répétait ces mots de Louise de Vilmorin : « Sois douce. » Moi qui suis très extrême, la bienveillance, la main tendue, me fascine. N’étant pas très douce, j’ai très vite été happée par la lecture de « I’Idiot », de Dostoïevski. Le héros ne cessait d’opposer sa douceur aux snobs, aux ricanants et aux cyniques.
M.H.– J’ai pris des coups avec ma douceur. On me traitait même de « poire » à l’école. J’ai dû apprendre à me protéger.

Fanny, vous avez toujours décrit votre enfance comme un vert paradis…
F.A.– Un paradis recouvert d’or. J’étais tellement aimée ! Je détestais l’école, mais, chez moi, j’étais dans une sorte d’enclos, comme dans la Petite Maison dans la prairie. Dès que je rentrais, je retrouvais mes livres, les conversations. J’avais un père extraordinaire qui remettait en cause ce que m’enseignait la maîtresse. Je glissais : « Elle a dit ça. » Il rétorquait : « Eh bien, c’est une idiote. » Entendre un son de cloche différent en matière de morale, cela vous construit.
M.H.– C’est génial. Mes grands-parents, eux, possédaient un très grand appartement haussmannien où un pan de mur m’était dédié. J’y faisais des peintures, des dessins.

Votre père, Fanny, était officier de cavalerie…
F.A. – Oui, mais personne ne s’identifie à sa fonction. Le cliché voudrait qu’il ait été rigide. Or, il adorait la littérature et il m’a transmis l’indépendance d’esprit.
M.H. – L’équitation, que j’ai beaucoup pratiquée, ce n’est pas dompter, dresser et dominer. C’est au contraire le partage, la communication, une affaire de gens sensibles.
F.A.– Prenez les officiers du Cadre noir… Avec le doigt, ils guident leur cheval à l’amble, comme des danseurs.
M.H. – Moi, j’ignore ce qu’on m’a transmis. Je devrais pourtant le savoir, j’ai l’âge…
F.A.– Pas encore. Il faut avoir traversé beaucoup de chagrins, d’échecs et de douleurs.

Certaines actrices prétendent qu’il existe une sororité entre comédiennes…
F.A. – Ça existe, au cas par cas. Mais je ne me suis jamais sentie solidaire d’une corporation.
M.H. – Moi, j’aurais adoré connaître cette sororité, mais je crois qu’elle relève du fantasme. Je déteste les raccourcis : les comparaisons que quelques-uns font entre les comédiennes, par exemple.

Votre métier est-il cruel pour les femmes ?
F.A. – Je n’ai jamais pensé en ces termes. J’ai intégré très tôt l’idée de la mort. Nous avons un temps donné. Il ne faut donc pas s’excuser d’exister. Il y a deux choses indignes dans l’existence : se plaindre de payer trop d’impôts et se plaindre de vieillir. Comme le chaos final est inéluctable, autant vivre sa vie comme si l’on montait sur un ring.

Que pensez-vous du mariage ?
F.A. – Les gens mariés depuis longtemps, heureux ensemble, me font l’effet d’une œuvre d’art. Je ne vais jamais dans les dîners, par peur de m’ennuyer. Mais si je me trouve à côté d’un convive passionnant, je peux m’intéresser à… la tonsure des chiens. Les gens passionnants sont les gens honnêtes. Il m’arrive souvent dans un dîner, si je suis assise à côté d’un homme, de lui demander : « Vous aimez votre femme ? » S’il me répond « Bien sûr ! », je passe à autre chose, mais s’il me parle de lutte ou de complicité… Seul l’amour m’intéresse.
M.H. – Fanny, emmenez-moi dans un dîner, s’il vous plaît. J’écouterai. Comme vous, j’ai intégré très vite l’idée de la mort. Aujourd’hui, je veux juste pouvoir me demander : qu’y a-t-il au buffet aujourd’hui ? Imaginer tous les possibles.




Fanny Ardant
"Timide mais teigneuse."
Vos personnages évoluent dans l’univers de la mode. Que vous inspire-t-elle ?
F.A. – Même si je ne suis pas « addict », j’aime la haute couture. Regarder les beaux magazines, voir les vitrines. On est bien obligé de s’habiller, de déjeuner, d’habiter quelque part. Alors la mode, la gastronomie, l’architecture, bref, tout ce qui nous transfigure, ça me plaît.
M.H. – Petite, les interviews des créateurs me bouleversaient : Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Jean Paul Gaultier – puisque j’étais fan de Madonna. J’adorais leur prise de parole, leur visage, leurs cheveux. Pour moi, l’inspiration venait des artistes. Ils me donnaient de l’oxygène. Je me consumais pour des créateurs marginalisés dotés d’une liberté d’expression très forte, tels Gainsbourg ou Björk.
Dans Chic !, celui qui incarne votre muse, Fanny, est un homme…
F.A. – Mon personnage n’éprouve aucun sentiment amoureux pour cet homme. Mais son innocence et la passion avec laquelle il exerce son métier le touchent. L’inspiration, on la vole. C’est un peu comme la pluie : on ne sait pas ce qu’elle fera germer. J’ai été formée par la littérature. Oui, les livres m’ont davantage servi que les prêtres à me forger une morale. Dans la vie, il faut se laisser porter par ceux qui vous emmènent plus loin.

(1) En salles le 7 janvier. (2) Au Théâtre de l’Europe à Paris, du 16 janvier au 28 février et du 8 au 29 avril.




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