jeudi 15 juin 2017

ROGER WATERS / Hors les murs

Roger Waters


ROGER WATERS


Hors les murs

Paris Match|
Roger WatersSean Evans
L’ancien leader de Pink Floyd présente une version filmée de sa tournée « The Wall ». L’occasion pour lui de rétablir certaines vérités.
Il pensait avoir pris sa revanche. De 2010 à 2013, Roger Waters a porté à travers la planète son incroyable show autour de « The Wall ». Salles pleines, stades conquis, il mit un terme définitif à ce triomphe en septembre 2013 à Paris, devant plus de 70 000 spectateurs. Waters croyait pouvoir enfin tourner la page Pink Floyd et se consacrer à ses albums solos. Seul hic, les deux autres membres restés à bord
du vaisseau amiral, David Gilmour et Nick Mason, annonçaient en octobre 2014 la fin officielle de Pink Floyd, juste après avoir publié l’ultime et très réussi « The Endless River ». Waters, qui a quitté le navire depuis 1985, n’entend pas laisser à ses deux comparses le droit d’enterrer le groupe mythique. A lui d’entretenir la flamme. Ainsi, le 29 septembre, un film sur la tournée « The Wall » sera diffusé pour une séance unique dans toutes les plus grandes salles du monde. Et l’homme s’apprête à repartir pour une nouvelle tournée. Histoire de rappeler qui est le patron.
Paris Match. Quand vous écriviez “The  Wall”, à la fin des années 1970, imaginiez-vous que le propos antiguerrier du disque serait toujours d’actualité ? 
Roger Waters. Pas vraiment. Cependant, dès la fin de l’enregistrement, j’avais réalisé qu’il possédait un certain poids, une certaine profondeur. A l’époque, le disque racontait surtout l’histoire d’une pop star schizophrénique. Avec la tournée, j’ai pu transmettre les idées qui m’intéressaient, donner aux concerts une dimension politique, établir une critique de la guerre plus virulente et, finalement, atteindre plus d’universalité.
Cette tournée 2010-2013 a été le plus grand succès de votre carrière. N’était-ce pas frustrant que cela vous arrive en solo et non avec Pink Floyd ? 
Absolument pas. Nous avons monté ce projet dans une petite pièce, avec juste des croquis, en partant du spectacle que nous avions créé en 1980. Quand nous nous sommes retrouvés en septembre 2010 aux Etats-Unis au Izod Center [New Jersey] pour les premières répétitions, j’ai tout de suite compris que nous proposions quelque chose de vraiment spectaculaire. Nous n’avions pas prévu de passer trois ans sur les routes. Mais le bouche-à-oreille a été fulgurant, et c’est devenu le spectacle à voir. Nous avons joué neuf fois au River Plate Stadium de Buenos Aires, 70 000 “grenouilles” [en français] sont venues nous voir au Stade de France, nous nous sommes produits à Split en Croatie comme au Stade olympique de Berlin…

"Pendant trois saisons j'ai eu mon pic d'adrénaline chaque soir"

Ces concerts géants vous manquent ?
Non, je suis allé au bout de l’aventure. Pendant trois saisons j’ai eu mon pic d’adrénaline chaque soir. Le lendemain du concert au Stade de France je suis rentré chez moi et je me suis rendu compte que j’étais totalement vidé. Il fallait que je reprenne des forces !
Plus de 14 millions de vues pour la vidéo de “Comfortably Numb”, sur YouTube, où votre ancien complice David Gilmour vous rejoint sur scène à Londres… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Ce n’est pas énorme. Sur Internet, on est habitué à des chiffres bien plus élevés. Il y a dix ans, un ami m’a montré la vidéo d’un rappeur nommé Superman. Elle était assez sexuelle mais ne présentait pas grand intérêt. Eh bien elle avait été vue plus de 35 millions de fois. Trente-cinq millions ! Pour un truc dont personne n’avait entendu parler. Donc ces 14 millions me semblent bien peu de chose ! [Rires.]
Comment avez-vous réagi à l’annonce du dernier album de Pink Floyd l’an passé ?
Pink Floyd a sorti un disque ?
Oui, “The Endless River”… 
Et qu’est-ce donc que cette rivière sans fin ? [Rires.] Pour être honnête, j’ai été surpris. Mais ce n’est plus mon problème. L’œuvre de Pink Floyd est là, elle se suffit à elle-même. Et je ne vais interdire à personne d’écouter “The Endless River”. Une fois encore, ce ne sont pas mes affaires.
David Gilmour aurait pu vous demander votre avis, non ?
Pourquoi ?

"J'ai passé plus de temps en dehors de Pink Floyd qu'en son sein"

Par élégance, politesse…
Mais je ne fais plus partie de l’aventure depuis 1985. J’ai passé plus de temps en dehors de Pink Floyd qu’en son sein.
David Gilmour en a profité pour annoncer la fin du groupe. Alors que vous continuez à faire vivre la flamme… Que dites-vous aux gens qui rêvent que Pink Floyd se reforme ?
Ce que veulent les gens n’a hélas plus vraiment d’intérêt. J’ai d’autres projets, d’autres idées.
Avez-vous encore des choses à dire en musique ?
J’ai écrit un nouvel album que j’essaie de mettre en chantier. Mais j’ai d’abord en tête une grande tournée qui devrait démarrer l’an prochain. Je finirai ce disque ensuite. Là, j’ai une idée assez précise de ce que je veux faire sur scène, car j’ai un catalogue de chansons qui méritent d’être interprétées. Dans le fond, j’ai l’impression de peindre la même image depuis quarante ans, avec des couleurs et des tons différents. Mais quand tout cela est assemblé, ça peut avoir une sacrée gueule.

"Quiconque critique Israël est de facto accusé d'antisémitisme, ce qui est ridicule"

Pendant la tournée “The Wall”, vous avez dû subir de nombreuses attaques de la part de groupes religieux qui dénonçaient un show antisémite…
Les accusations d’antisémitisme n’avaient pas grand-chose à voir avec les concerts en eux-mêmes. Il y a bien eu une association juive qui s’est sentie offensée par la présence de l’étoile de David sur un cochon volant. Mais tous les symboles religieux figuraient sur cet animal. Le problème vient du fait que, depuis 2006, je me suis engagé dans le mouvement BDS [Boycott, désinvestissement et sanctions]. Quiconque critique Israël pour sa politique d’immigration, ou pour sa politique envers les Palestiniens, est de facto accusé d’antisémitisme, ce qui est ridicule. Car les critiques que je formule n’ont rien à voir avec le judaïsme.
Quand Robbie Williams ou Dionne Warwick ont annoncé des concerts en Israël, vous avez pris la plume pour leur demander de ne pas s’y rendre. Pourquoi ?
Parce que c’est mon point de vue. Et je ne suis pas le seul à m’exprimer ainsi. Elvis Costello, Brian Eno le font aussi. Mais beaucoup de gens n’osent pas prendre la parole par crainte des répercussions. Pour être en accord avec moi-même, j’ai besoin de dire ce que je pense.

"Personne n'a besoin d'être riche pour dire qu'il n'est pas d'accord"

Mais vous pouvez vous le permettre. Vous n’avez plus besoin d’argent, peu de critiques peuvent vous atteindre…
J’ai toujours agi selon mes convictions, peu importe ma situation financière et personnelle. En 1968, on ne demandait pas aux étudiants de Saint-Germain combien ils avaient sur leur compte en banque. Personne n’a besoin d’être riche pour dire qu’il n’est pas d’accord, encore moins pour se révolter. Il faut juste être convaincu qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le monde qui nous entoure.
Etes-vous toujours fier d’être anglais ou vous sentez-vous désormais américain ?
Je ne suis pas du tout américain. Je suis toujours fier d’être anglais mais je me sens plus européen désormais.
Depuis que la ville d’Anzio en Italie vous a fait citoyen d’honneur ?
Peut-être. J’ai entrepris un voyage en Europe avec mes enfants. Je tenais à leur montrer la tombe de mon grand-père et celle de mon père. Ils sont tous deux tombés au champ d’honneur, mon grand-père près d’Arras le 14 septembre 1916 et mon père à Anzio le 18 février 1944. Nous nous sommes rendus au cimetière de Marœuil en France puis à celui de Cassino en Italie. Là-bas, je suis devenu ami avec un vieil Anglais, Harry Shindler, qui connaissait l’endroit exact où mon père était tombé. C’est lui qui a convaincu la ville d’Aprilia d’ériger un monument à la mémoire d’Eric Fletcher Waters. Que je suis allé inaugurer ensuite. Donc, oui, tout cela m’a ému, bouleversé. Il était temps…
« The Wall », le 29 septembre en séance unique dans les cinémas Gaumont-Pathé. 
A noter la réédition de son album « Amused to death » (Sony Music).

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