samedi 18 novembre 2017

Aheda Zanetti / J’ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté


Femmes en burkini, Cronulla plage, Sydney, Australie: ‘Je voulais trouver quelque chose qui permettrait à ma nièce de s’adapter au mode de vie australien, tout en respectant les exigences d’une jeune fille musulmane.’ Photograph: Aheda Zanetti



J’ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté



Le burkini, ce n’est pas un symbole d’Islam: c’est un symbole de plaisir, de joie, de sport, de santé. Alors, qui est pire, les taliban ou les politiciens français? 


Friday 26 August 2016 14.27 BST

Q
uand j’ai inventé le burkini au début de l’année 2004, je ne cherchais pas à enlever leur liberté aux femmes, je voulais les libérer. Ma nièce voulait jouer au netball, mais nous avions du mal à lui trouver une équipe parce qu’elle portait un hijab. Ma sœur a dû se battre pour défendre le droit de sa fille à jouer. Elle a demandé: pourquoi empêcher cette fille de jouer uniquement parce qu’elle souhaite être modeste?

Une fois qu’elle a finalement été autorisée à joindre l’équipe, nous sommes tous allées la voir jouer pour l’appuyer, et nous avons constaté que sa tenue était complètement inappropriée pour le sport: un polo à manches longues, un pantalon de jogging et son hijab – un ensemble vraiment pas pratique pour le sport. Elle était rouge comme une tomate tellement elle avait chaud!
Une fois rentrée à la maison, j’ai commencé à chercher des tenues plus pratiques pour elle, des tenues de sports pour filles musulmanes et je n’ai rien trouvé. Je savais que je ne trouverais rien en Australie. Cela m’a fait réfléchir, quand j’étais à l’école j’ai raté tout les sports parce que j’avais choisi d’être modeste, mais je voulais trouver quelque chose qui permettrait à ma nièce de s’adapter au mode de vie australien et aux vêtements occidentaux, tout en respectant les exigences d’une jeune fille musulmane.
Je me suis assise sur le sol de mon salon et j’ai crée quelque chose. J’ai observé le voile et j’ai enlevé l’excédent de tissu, ce qui m’a rendue un peu nerveuse: ma communauté islamique accepterait-elle cela? Le voile est censé couvrir vos cheveux et votre forme, rien ne doit dévoiler les formes du corps. Ceci marquais la forme du cou. Puis je me suis dit, cela montre la forme du cou, c’est juste un cou, cela n’a pas d’importance.
Avant de lancer la nouvelle tenue, j’ai fabriqué un échantillon et un questionnaire pour savoir ce que les femmes en pensait: le porteriez-vous? Est-ce que cela vous encouragerais à être plus active A jouer plus de sport? A nager? De nombreux membres de ma communauté n’étaient pas trop convaincus, mais j’ai développé le modèle et cela a été une réussite commerciale.

Le burkini a attiré l’attention du grand public quand Surf Lifesaving Australia à introduit un programme visant à intégrer les filles et les garçons musulmans dans les activités de sauvetage sur plage suite aux émeutes de Cronulla; une jeune fille musulmane voulait participer à un événement de la compétition. Elle portait un burkini.
Après le 11 Septembre, les émeutes de Cronulla, l’interdiction du voile en France, et les répercussions internationales que cela a eu – nous avons été stigmatisés comme étant des mauvaises personnes à cause de quelques criminels qui ne représentent pas les musulmans – je ne voulais surtout pas que les gens marginalisent les filles qui portent cette tenue. Il s’agit juste de jeunes filles qui souhaitent être modestes.
Pour elles il s’agissait d’une volonté d’intégration, d’acceptation et d’égalité, et pas de marginalisation. C’était difficile pour nous à l’époque, la communauté musulmane avait peur de se faire remarquer. Nous avions peur de nous rendre dans les piscines publiques ou à la plage et ainsi de suite, mais je voulais que les filles aient suffisamment confiance en elles-mêmes pour se créer des bonnes vies. Le sport est important, nous sommes australiens! Je voulais créer quelque chose de positif, quelque chose que toutes les femmes peuvent porter qu’elles soient chrétiennes, juives ou hindous. C’est juste un vêtement pour une personne qui souhaite être modeste, ou pour quelqu’un qui souffre d’un cancer de la peau, ou pour une nouvelle maman qui ne veux pas porter un bikini: cela ne symbolise pas l’Islam.

Fadila Chafic, australienne et musulmane, et une instructrice de natation, dans une piscine à Sydney. Photograph: Jason Reed/Reuters


Quand je l’ai nommé burkini, je ne le voyais pas comme une burqa pour la plage. La burqa, c’était juste un mot pour moi; j’ai passé toute ma vie en Australie, j’avais conçu ce costume de bain et j’avais besoin de lui donner un nom tout de suite. C’était une combinaison de deux cultures; nous sommes australiens mais aussi musulmans par choix. La burqa ne symbolise rien ici, elle n’est pas mentionnée dans le Coran, et notre religion ne nous demande pas de nous couvrir le visage, c’est un choix personnel. La burqa n’est mentionnée nulle part dans les textes islamiques. J’ai dû rechercher le mot et il était défini comme une sorte de manteau couvrant: à l’autre bout de la gamme il y avait le bikini, alors j’ai combiné les deux.
Toute cette négativité que l’on voit partout en ce moment et ce qui se passe en France me rend triste. J’espère qu’il ne s’agit pas de racisme. Je pense qu’ils ont mal interprété un vêtement qui est complètement positif, il symbolise le loisir et la joie, les bons moments, le sport et la santé, et maintenant on demande aux femmes de quitter la plage et de retourner dans leurs cuisines?
Ce vêtement est un outil de liberté pour les femmes, et ils veulent leur prendre leur liberté? Alors qui est pire, le Taliban ou le politicien français? Ils sont aussi mauvais l’un que l’autre.

Je pense que les hommes n’ont pas à décider de ce que les femmes doivent porter; personne ne nous force, c’est à chaque femme de décider. Ce que vous voyez, c’est notre choix. Est-ce que je me considère comme une féministe? Oui, peut-être. J’aime me tenir derrière mon mari, mais le moteur c’est moi et c’est mon choix. Je veux qu’il reçoive tous les honneurs, mais moi je suis la réussite silencieuse.
J’aimerais être en France pour dire que vous n’avez rien compris. Et n’y a-t-il pas suffisamment de problèmes dans le monde, faut-il en vraiment en créer de nouveaux? Vous avez pris un produit qui signifie la joie, le plaisir et l’activité physique et vous en avez fait un objet de haine.
Quelles sont les valeurs françaises alors? Qu’est-ce que vous voulez dire quand vous dites que le burkini n’est pas compatible avec les valeurs françaises? Liberté? Vous nous décidez ce que nous devons porter. En nous disant ce que nous ne devons pas faire, vous allez faire renvoyer les femmes à la maison, que voulez-vous que nous fassions alors? Il y aura des répercussions. Si vous divisez la nation, si vous n’écoutez pas les voix des autres et si vous ne tentez pas de trouver des solutions, il y a des gens qui vont se mettre en colère. Repousser les gens et les isoler, ce n’est pas une bonne politique pour un politicien ou pour un pays.

Je me souviens de la première fois que j’ai essayé le burkini. Je l’ai d’abord essayé dans ma baignoire, il fallait que je sois sûre qu’il marche. Puis j’ai dû l’essayer en plongeant, alors je suis allée à la piscine locale pour tester si le bandeau restait bien en place. Je me suis rendue à la piscine Roselands Pool, je me souviens que tout le monde me regardait, mais qu’est-ce qu’elle porte? Je suis allée tout droit jusqu’au bout de la piscine, je suis montée sur le plongeoir et j’ai sauté. Le bandeau est bien resté en place, et j’ai pensée, merveille! Parfait!
C’est la première fois de ma vie que j’ai nagé en public, et c’était absolument merveilleux. Je me souviens parfaitement de la sensation. Je me suis senti libre, je me suis senti émancipée, je sentais que la piscine m’appartenait. J’ai marché jusqu’au bout de la piscine avec les épaules bien droites.
Plonger dans l’eau est une des sensations les plus fantastiques. Et vous savez quoi? Je porte un bikini sous mon burkini. J’ai le meilleur des deux mondes.



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