mercredi 14 février 2018

Le monstrueux destin de Harvey Weinstein


Le monstrueux destin de Harvey Weinstein

Par Marion Galy-Ramounot | Le 12 février 2018

Le 6 octobre 2017, le roi Harvey tombait bruyamment de son trône et Hollywood perdait ses lettres de noblesse. Retour sur la scandaleuse affaire d'agressions sexuelles qui a ébranlé l'Amérique, et même mieux, a vu naître un nouvel ordre mondial.




Certains, cinéphiles, se souviendront de Harvey Weinstein comme du puissant producteur qui cumulait plus de trois cents nominations aux Oscars. Les autres penseront au serial agresseur sexuel de Hollywood, démasqué le 5 octobre 2017 par le New York Times après avoir humilié plus de quatre-vingt femmes armé d'un peignoir immaculé et du plus gros carnet d'adresse de la Colline. Sous le même modus operandi toujours : les recevoir dans sa chambre d'hôtel, tomber le susdit peignoir et présenter ses 130 kg de «muscles» - dans le meilleur des cas.

Sexe, palace et abus de pouvoir

«J'ai dit non, de nombreuses manières, de nombreuses fois, mais il revenait toujours à la charge», raconte l'actrice Ashley Judd, première «célébrité» à se confier au New York Times, accompagnée d'assistantes et de cadres de la Weinstein Company, la société de production des frères Weinstein. Une grenade dégoupillée vient d'être lancée sur Hollywood. Le communiqué de Harvey Weinstein s'excusant de «la façon dont (il s'est) comporté avec des collègues par le passé», arguant avoir «grandi dans les années 60 et 70, quand toutes les règles sur le comportement et les lieux de travail étaient différentes» n'empêchera pas l'explosion. Et les autres grenades. Le 8 octobre, Harvey Weinstein est licencié de la Weinstein Company «avec effet immédiat». Deux jours plus tard, son épouse Georgina Chapman, directrice de la maison de couture Marchesa, le quitte par voie de communiqué, mettant en cause «des actes impardonnables».
«J’étais une enfant, j’avais signé, j’étais pétrifiée», livre Gwyneth Paltrow cinq jours plus tard dans une nouvelle salve du New York Times. D'autres actrices témoignent dans une enquête explosive du journaliste Ronan Farrow, fils de Woody Allen, dans le New Yorker. Asia Argento y livre son impuissance au moment où Harvey Weinstein a «brutalement» entamé un cunnilingus dans sa chambre d'hôtel - «Je disais "non, non". C'était tordu. Un gros mec qui veut te manger». Emma de Caunes y avoue avoir été «pétrifiée» après qu'il a filé dans la salle de bains pour en ressortir nu et en érection. «Il me regardait comme si j'étais un morceau de viande, écrit Léa Seydoux dans une tribune publiée dans les colonnes du Guardian.

Harvey Weinstein and Georgina Chapman 

Parmi les dizaines de glaçants témoignages, c'est celui de l'actrice Rose McGowan (Scream, Boulevard de la mort) qui enterre le «monstre». Elle affirme avoir été «violée», avoir été payée 100.000 dollars pour se taire, l'avoir «dit et redit», accusant Ben Affleck et Matt Damon, deux poulains de Weinstein, d'être au courant des agissements du producteur. Dès lors, les question du qui savait, qui ne savait pas, qui a laissé faire, menacent le tout-Hollywood. Les frères Affleck sont dans l'œil du cyclone. Meryl Streep est forcée de déclarer publiquement qu'«(elle) ne savai(t) pas» après les attaques de Rose McGowan.

Mort sur la Colline

Trois enquêtes s'ouvrent à New York, Los Angeles et Beverly Hills, les deux premières pour des agressions sexuelles remontant à 2004 (celle de l'actrice Lucia Evans, forcée de faire une fellation au producteur) et 2013 ; la troisième pour des «plaintes multiples». Un moment propice pour l'exil de Harvey Weinstein en Arizona, où il intègre mi-cotobre le centre de désintoxication The Meadows, que la presse américaine décrit comme un «spa pour trater l'addiction sexuelle». «Les mecs, je ne vais pas très bien, mais j'essaie, dira-t-il furtivement à la caméra de TMZ avant de fuir Los Angeles. Je dois me soigner les mecs. Pour une deuxième chance, j'espère.»
Un espoir déjà vain. Le 12 octobre, il est officiellement exclu de l'Académie des Oscars, sacro-sainte institution du cinéma US. «Non seulement nous prenons nos distances avec quelqu'un qui ne mérite pas le respect de ses collègues, mais nous envoyons un message pour affirmer que le temps de l'ignorance délibérée et de la complicité honteuse vis-à-vis des comportements d'agression sexuelle et du harcèlement sur le lieu de travail dans notre industrie est terminé», a-t-elle précisé. Le 15 octobre, Emmanuel Macron annonce «engager des démarches» pour retirer la Légion d'honneur à Harvey Weinstein, reçue en 2012 des mains de Nicolas Sarkozy. Les dirigeants du Festival de Cannes condamnent «un comportement impardonnable qui ne peut susciter qu'une condamnation nette et sans appel». Deauville efface le nom du producteur de ses cabines de plage.

Le cochon dans la ville

En France, pour l'instant, personne n'est sorti du bois. Aucun producteur, réalisateur, agent, directeur de casting ou photographe n'est pointé du doigt. «En France, c'est autrement sournois», avance pourtant Isabelle Adjani dans une tribune publiée par le JDD. «En France, il y a les trois G : galanterie, grivoiserie, goujaterie. Glisser de l'une à l'autre jusqu'à la violence en prétextant le jeu de la séduction est une des armes de l'arsenal de défense des prédateurs et des harceleurs.» Au même moment, le hashtag #balancetonporc naît sur Twitter, comme une référence au surnom, «le porc», donné à Harvey Weinstein au Festival de Cannes. En vingt-quatre heures, rien que sur Twitter, des centaines de milliers d'occurrences sont comptabilisées.
Suivront #MeToo et la libération de la parole des femmes, partout. Tous les secteurs, tous les monstres sont touchés. Début janvier 2018, le projet Time's Up («c'est fini») est initié par 300 Américaines - dont Natalie Portman, Cate Blanchett et Meryl Streep - dans le but d'aider les femmes harcelées qui n'ont pas les moyens de se défendre. Chez nous, le manifeste des 100 femmes parue dans Le Monde réveille la guerre des féminismes. Un nouvel ordre mondial est en marche.
Un ordre dans lequel Harvey Weinstein ne trouve pas la paix. Salma Hayek et Uma Thurman prennent tardivement - mais massivement - la parole. L'actrice mexicaine déclare avoir été menacée de mort par le producteur. La muse de Tarantino le vise directement parmi les producteurs responsables de son accident de voiture sur le tournage de Kill Bill en 2002. «Ils ont menti, détruit des preuves, et continuent de mentir au sujet du mal qu’ils ont causé et choisi de supprimer», poste-t-elle le 6 février sur son compte Instagram, avec la vidéo de l'incident.

Le dernier souffle ?

Resté longtemps dans l'ombre de sa cure de désintox en Californie, Weinstein reprend la parole via son avocat, Ben Brafman, le 30 janvier, pour s'en prendre directement à Rose McGowan, cette dernière s'apprêtant à publier son autobiographie dans laquelle elle détaille son viol. «De manière générale, Harvey Weinstein et ses avocats ont évité de publiquement critiquer les femmes qui ont porté des accusations d'agression sexuelle à son égard, malgré l'amas d'évidences qui auraient pu démontrer la fausseté desdites accusations, commence Ben Brafman. Assister à la "performance" de Rose McGowan, qui fait actuellement la promotion de son nouveau livre (Brave, sorti ce 29 janvier, NDLR), a rendu le silence impossible alors même qu'elle essaie de calomnier M. Weinstein avec un impudent mensonge qui n'est pas seulement démenti par M. Weinstein lui-même, mais par au moins deux témoins, incluant la manager de McGowan du temps de la supposée agression et l'acteur de premier ordre Ben Affleck, à qui Mme McGowan affirme avoir raconté sa rencontre avec M. Weinstein peu après l'incident qu'elle qualifie aujourd'hui de "viol".» Quelques jours après la révélation des mails mettant effectivement en cause les déclarations de l'actrices, sa dite manager Jill Messick, se suicide, s'érigeant en «victime collatérale» de l'affaire qui fait trembler Hollywood.
Le 12 février, le procureur de l'État de New York assigne en justice la Weinstein Company pour ne pas avoir protégé ses employés face au harcèlement sexuel. Après quatre mois d'enquête et la récolte de témoignages d'employés passés et présents du studio, Eric Schneiderman et son équipe estiment que le rachat de l'entreprise risque de récompenser certains responsables qui ont fermé les yeux pendant des années sur les agissements de Harvey Weinstein. Un Harvey Weinstein qui n'a pas encore été entendu par la police. Il ne fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire.


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